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Résonance

En mettant de l'ordre dans tous les journaux que je n'avais pas eu le temps de lire ces dernières semaines, j'ai eu la surprise de trouver cet article:

Le cheval quitte la scène

Publié deux jours après mon papyrus #5 "Le dernier cheval"!

Hommage à mon grand-père paternel… Centre-Bretagne, Gruyère, tant de similitudes… Il me reste à parler avec mon père, vérifier si l'inspiration de mon histoire s'est ancrée dans un héritage familial dont j'ai conscience sans me souvenir qu'il ait jamais été formalisé par la parole, ou si je nage en pleine illusion. Je ne sais même pas si mon grand-père a eu des chevaux à lui un jour – mes souvenirs des années 1970 c'était déjà les tracteurs.

Les années 1940 à 1960 ont vu les enfants des familles paysannes fribourgeoises quitter par milliers la terre de leurs ancêtres pour s’en aller quérir un emploi à Genève ou à Lausanne. (…) Nombre de paysans ont remis leur exploitation à ce moment charnière. Si bien que, pendant quelque temps, au milieu des années 1960, les contrastes étaient saisissants entre ceux qui aspiraient à la modernité et ceux qui continuaient à travailler de manière quasi ancestrale.

 

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C’est pas fini

Vendredi, j'ai annoncé mon départ à l'équipe. Je l'ai présenté sous l'axe le plus personnel et le plus positif possible; face à des responsabilités et une équipe étendues au-delà de mes limites cette année, j'ai fait un travail sur les priorités, et pris conscience que je ne faisais pas les bons choix, que je devais me recentrer sur mes priorités familiales et personnelles, avant d'arriver au burnout. Mais que j'allais rester à la disposition du groupe sur mandat de consultant, ce que Chef a confirmé tout en dressant un portrait digne d'un enterrement de toutes mes qualités.

C'était vraiment un moment étrange.

J'avais aussi préparé un message individuel pour chacun, le plus rassurant possible sur l'accompagnement que je leur promets encore dans la phase de transition. En fait la situation est complètement paradoxale; comme je n'ai pas négocié un départ avancé, à part mon mois de vacances à caser dans l'été, je les accompagne encore sur les objectifs 2010 (retardés de plusieurs mois par la réorganisation!), je vais m'atteler à la revue budgétaire début juillet, je traite toutes sortes de dossiers importants en ce moment jusque tard le soir. En outre, beaucoup de mes collègues ne sont pas encore au courant, ce qui crèe une situation un peu surréaliste.

Ce qui a été le plus perturbant dans mon dernier tournant de décision est qu'un 3ème départ a été annoncé en même temps que le mien. Nous partageons le même bureau, nous avons des équipes très proches fonctionnellement. 3 cadres en un mois dans un seul département. Je n'ai jamais vu cela en 12 ans de carrière, ce n'est pas dans la culture de l'entreprise, contrairement à quelques autres pharmas de la région. Mais je ne pouvais pas revenir sur ma décision. En fait, elle m'a sauvée. Si j'avais attendu un mois de plus, je n'aurai plus osé, la pression aurait été trop forte à l'idée d'abandonner ce navire en pleine tempête. Je serais restée amère à regarder les autres voguer vers d'autres horizons. Là finalement, j'ai même le beau rôle: moi je ne pars pas, je change juste de rôle… Enfin c'est encore à définir, mais c'est clair que je peux rester à disposition du groupe à temps très partiel, au moins le temps de transférer mes connaissances et responsabilités en douceur, ce qui me permettra aussi de réfléchir tranquillement à de nouveaux projets personnels.

Je reste très attachée au succès de l'entreprise et en même temps désespérée de mon impuissance à accompagner les mutations nécessaires que je vois avec une terrible lucidité… Il me reste juste l'intuition que mon choix est juste et constructif. Pour moi mais aussi pour l'organisation. Même pour ma hiérarchie, même mon équipe: c'est le type de turbulence qui peut les aider à grandir. 

Au moins tout cela aura-t-il créé quelques prises de conscience à tous les niveaux.

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Histoire bizarre (mais vraie, je le jure)

Mercredi soir j'étais surexcitée en faisant des prises de conscience sur le sens des expériences des 3 dernières années au fur et mesure que j'écrivais la note ci-dessous.

Mais le plus bizarre s'est produit le lendemain: jeudi matin, Ondine ma cadette de 7 ans est descendue toute habillée et très pressée, avec un projet totalement inhabituel pour elle qui a plutôt l'habitude de traîner au lit avec un bouquin jusqu'à mon 3ème appel pour le petit déjeuner: "Maman, on se dépêche, je veux aller à la rivière avant l'école, on a le temps?". Etonnée je suis, mais pourquoi pas? Qu'a-t-elle en tête? dans la continuité de nos scénarios poétiques, elle me dit qu'elle veut retourner voir les fées et enlever la pollution, allusion à un petit nettoyage de déchets que nous avions fait au bord du lac la veille.

Donc, nous nous préparons plus vite que d'habitude et débarquons à la rivière un bon quart d'heure avant le début des cours. Et là, surprise totale. A l'endroit même où je pateaugeais gaiement 16 heures plus tôt, se trouvait une tuile brisée. Une tuile romaine, moussue donc vieille. Certes nous avions eu du grand vent d'orage dans la soirée, mais une tuile isolée, EN PLEIN à cet endroit, sous la passerelle, cela m'a paru d'une telle improbabilité que j'en suis restée interloquée. Cela-dit, je n'ai pas perdu mon bon sens, comme j'avais justement descendu ma poubelle dans le coffre ce matin-là, je suis allée la chercher et j'ai ramassé un par un tous les morceaux brisés pour nettoyer la rivière, dans la logique de ma poésie féérique, c'était évidemment ce qui était attendu de moi ce matin-là.

Je suis allée travailler en tournant et retournant dans ma tête toutes sortes de réflexions, mais l'histoire n'était pas finie. Le soir, en rentrant, Ondine et moi racontons l'histoire à Lili, mon aînée de 11 ans. Silence, pas normal. Comme je conduisais c'est dans le rétroviseur que j'ai levé le sourcil en cherchant son regard pour lui demander un commentaire. Elle hésite… "Maman, c'est trop bizarre, cette nuit, j'ai justement rêvé de tuiles qui s'envolaient. Comme dans le conte, elles étaient à manger comme des bonbons, elles se transformaient en réglisse et finalement je les mangeais…".

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Voyage au centre des organisations, et au centre de mon histoire…

Encore de la  synchronicité aujourd'hui.

Ce matin j'ai acheté le magazine économique suisse Bilan pour son dossier de couverture sur les femmes cadres… et j'ai fini par y lire avec bien plus d'intérêt l'article sur Henry Markram et son projet de prolonger l'effort Blue Brain de l'EPFL par la création d'un "CERN de l'intelligence artificielle" en Suisse Romande!

Plus tard dans la journée, j'ai pris quelques minutes de pur bonheur avec les filles entre leurs cours respectifs de danse créative et de guitare et notre descente mensuelle à la bibliothèque du bord du lac: nous avons trempé nos pieds dans la rivière du village! J'avais la joie brute, enfantine, de patauger avec les fées dans cette eau tout juste descendue des torrents de notre montagne, et elles ont adoré! A se demander pourquoi on ne fait pas cela plus souvent, c'est juste devant l'école…

15km et 30mn plus loin, au bord du lac, j'ai encore fait face aux montagnes du Chablais jusqu'aux dents du Midi, debout sur le parapet, à demi euphorique face à l'énergie splendide que je ressens toujours à cet endroit… c'est toute pleine de cet émerveillement que je suis rentrée dans la bibliothèque, et sans réfléchir, face au présentoir mettant en valeur différents ouvrages, j'ai saisi un gros pavé orange:Mintzberg

Henry Mintzberg, Le Management – Voyage au centre des organisations.

je l'ouvre au hasard, et voilà que je tombe sur un chapitre intitulé "des managers et non des MBA", et qui dit ceci:

Il y a un réel besoin de talents intuitifs et de bon sens parmi ces jeunes diplômés et pas seulement de prouesses universitaires. C’est un problème de supposer de l’intuition chez les candidats à un diplôme de gestion, car il y a peu de chance pour que l’intuition se manifeste chez un être jeune. En effet, il n’est pas possible d’être intuitif à propos de choses dont on n’a qu’une connaissance superficielle.

De plus, même si ce potentiel d’intuition existe, son absence de forme développée signifie qu’il ne peut être employé dans le processus de l’enseignement.

La sélection de ceux qui veulent suivre des cours de gestion doit se faire par la preuve d’une expérience professionnelle de gestionnaire réussie. Les candidats doivent avoir une réelle expérience pratique. Les capacités au leadership et à la gestion des candidats doivent être démontrées.

Un autre chapitre s'intitule "Hémisphère gauche et hémisphère droit"… j'ai emprunté le livre, non pour le lire moi, mais en pensant l'amener à mon chef, qui m'a tenu exactement le même discours il y a quelques jours, au fond de ses propres réflexions! il faut dire qu'il répond parfaitement à la définition du manager expérimenté dans ce bouquin… cela devrait lui parler. En fait, on n'a jamais aussi franchement dialogué que ces dernières semaines… drôle d'expérience.

Mais j'ai quand même survolé l'ouvrage à la maison aussi pour moi – impossible d'ingurgiter linéairement 700 pages dans mon emploi du temps de ministre, mais j'ai une bonne technique de lecture rapide et je suis tombée en une dizaine de minutes sur les messages dont j'avais besoin… au point de finalement passer la soirée à y réfléchir avec note à la clé ici.

Ainsi, p.114 à 119: références à un échange de l'auteur avec un autre ponte dans les années 70, concernant une référence qu'il avait initialement souhaité faire aux perceptions extra-sensorielles dans son article au Harvard Business Review sur les hémisphères du cerveau et le management. Cette référence a été retirée de la publication, car trop provocatrice. Mais c'est de Turing qu'il la tenait. Turing! le grand penseur à l'origine de l'IA au milieu du 20ème siècle. Je ne savais pas qu'il avait des croyances dans ce domaine. Encore plein de liens à explorer là-dessus.

J'ai dans la foulée réalisé ce soir le surprenant parallélisme entre mon développement personnel et mon expérience professionnelle de ces 3 dernières années. C'est au printemps 2007 que j'ai pris conscience de mon besoin de développer mon cerveau droit, en lisant "Petit manuel d'auto-psy", Serge Fitz, Ed. Jouvence, pendant les vacances de Pâques. J'ai suivi les synchronicités dans la foulée qui m'ont conduite à découvrir les mandalas… au moment même où une réorganisation me précipitait sans crier gare chez celui que j'appelais alors New Boss. Suivit une bonne année de galère pour m'habituer à son style de gestion, effréné, touche-à-tout, principalement verbal et réunionniteux, et à son intelligence ultra-synthétique, visuelle, conceptuelle – il est gaucher d'ailleurs, bref le cerveau droit à fond, tout l'envers de moi l'analytique, réfléchie, jonglant subtilement entre les dossiers et les émotions douces dans le souci du moindre détail perfectionné encore et toujours, au détriment souvent de l'action et de la décision… Puis une bonne année de prise de conscience de mes propres limitations, et du besoin de progresser en me débarrassant de mes schémas limitants. Travail personnel de fond, largement raconté ici… et en parallèle tous les progrès accompagnés et reconnus par New Boss, jusqu'à devenir un de ses piliers de confiance malgré nos différences. Aujourd'hui je jongle facilement sur les différents modes, cerveau droit et cerveau gauche, en fonction des circonstances, et cela m'a permis d'accèder à de plus grandes responsabilités depuis 2009.

Intuition1 Il me reste à mieux vivre mes émotions, mais je commence aussi à voir des progrès sur ce plan, et il m'est aussi apparu évident aujourd'hui que c'est sur cet axe-là que je vais en baver dans mon nouveau projet professionnel, puisque je vais devoir ME vendre MOI. Angoisse totale. Mais j'y arriverai.

Il est surtout terriblement troublant pour moi ce soir de relire ces notes du blog en mai, juin et juillet 2007. Je l'avais oublié, mais ces notes me font découvrir ce soir que le rêve marquant de l'été 2007 m'était venu dans le stress de la nuit précédent mon premier entretien avec New Boss!!! Or j'ai beaucoup repensé à son message réconfortant ces derniers temps, pour me conforter dans mes choix de suivre mes valeurs les plus profondes, quels que soient les risques et difficultés des tournants à prendre pour cela. Et le plus drôle, cette énigmatique – à l^époque! – dernière ligne de la météo couleurs que j'avais relevée comme exceptionnelle: On ne vous demande pas d'être perfectionniste mais de suivre les étapes de la voie d'apprentissage d'une discipline de vous ouvrir à recevoir l'enseignement du maître qui le dispense. Et du coup, de guérir votre relation au père, à la notion de hierarchie !

Exactement ce que je vis à présent.

C'est… perturbant, pour mon esprit rationnel. Je ne peux pas nier la réalité de tous ces signes au nom de l'objectivité scientifique; je ne peux rien prouver, tout est dans ma tête, et en même temps, tellement évident à ma pleine conscience! Est-ce donc moi qui crée cette réalité juste sur la base des signes auxquels j'ai bien voulu prêter attention dans le courant de ma vie?

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Créer le futur

Hier, je suis rentrée de quelques jours d'évasion sur Paris, entre famille et mes équipes là-bas. Ce que je vais le plus regretter, c'est l'énergie de la petite startup dont la réorganisation m'a confié l'incubation. Bon, ce n'est pas fini encore, d'ailleurs j'ai eu récemment une idée de diversification pour leur technologie que je dois absolument encore trouver le temps d'explorer ces prochaines semaines…

Mari Charmant nous a rejoints vendredi soir, avec une étonnante nouvelle. Contre toute attente, après 2 ou 3 ans de vains espoirs, il va très certainement réaliser dans quelques semaines un vieux projet qui à lui seul aurait pu justifier une remise en question de mes priorités. Que cela arrive 4 jours APRES ma décision finale a quelque-chose de vertigineux.

Quand j'ai suivi mon cours de développement de l'intuition et du ressenti à l'automne, j'ai partagé certains exercices avec lui. Cela l'a travaillé au moins au tant que moi, au point de le convaincre de s'inscrire à des cours de violon cet hiver et d'accélérer la réalisation de sa mission de vie. Quand je l'ai rencontré, il conduisait avec une poignée de copains enthousiastes toutes sortes de recherches en intelligence artificielle, en parallèle avec ses études d'ingénieur, et souvent au détriment de ces dernières. Quand on est fait pour explorer les nouvelles frontières technologiques du 21ème siècle, ingurgiter les ennuyeux savoirs du 19ème tels que résistance des matériaux ou métallurgie tient du calvaire… J'ai passé près de 20 ans à le rappeler à la réalité bassement matérielle à chaque flambée d'idéalisme… l'occasion d'autres expériences constructives, mais à présent, c'est moi-même qui ressens le moment de passer à une phase plus incertaine, plus exploratoire, les bases étant assurées, c'est sur le sens que nous devons nous concentrer à présent, quitte à retourner aux rêves fous de nos 20 ans…

Hier soir, j'ai ressenti le besoin d'explorer le web sur le message technologique de "la prophétie des andes", et les mots-clés m'ont amenée sur de nouveaux liens inexplorés, aux titres pourtant prometteurs:

http://www.synchronicites.net/

http://www.co-creation.net/

Je ne sais pas vers quel futur je me dirige, mais il me semble enfin cohérent et plein de sens…

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C’est fait

Aujourd'hui, après un dernier week-end de doute à peser le pour et le contre et soigner ma communication de départ, j'ai démissionné.

Mon collègue cadre le premier à annoncer son départ début mai m'avait transmis le relais. Maintenant, c'est mon chef qui le prend. Depuis trois semaines, secoué entre autres par mes questions, il les pose à son tour. Des questionnements de fond sur les valeurs et les objectifs de notre organisation.

Je pense que c'est salutaire et que cela va dans le sens des mutations nécessaires, même si c'est dommage de passer par tant de violence.

Je suis curieuse de voir la suite – de toute façon, je suis encore là pour 3 mois.

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Le temps de la décision

Il est temps de décider.

Il y a 10 jours, j'ai donné un ultimatum à mon chef. 10 jours pour me convaincre de rester. 10% de chances de me faire revenir en arrière, tant je suis déterminée. Ce que je veux, c'est une histoire, une vision, du sens. Impossible…

Chef, désarmé et désespéré, a lancé les alarmes – direction dont il dépend, direction ressources humaines, direction tout court…

J'ai passé 2 heures et demi mardi à expliquer les raisons de mon départ à notre directeur de département. Je suis le 2e cadre à démissionner ce mois dans son département, suite à la fusion. Sa situation est donc difficile. Jamais nous n'avions eu, en 18 mois, un dialogue aussi vrai. Avant d'aller le voir, j'avais fait un gros travail sur ma colère, mon impatience et mes frustrations qui s'étaient beaucoup focalisées sur lui ces derniers mois. J'ai fait la part des choses; par sa culture différente des "vieux meubles" dont je fais partie, il est un vecteur du changement dont l'entreprise a besoin aujourd'hui pour assurer les mutations qui sont nécessaires à sa croissance, voire à sa survie à moyen-long terme. Et moi je n'ai pas su lui transmettre, lui expliquer, tout ce que je sais et fais au cours des 18 derniers mois; il n'a pas vraiment idée de mon métier, c'est la première fois dans sa carrière qu'il a la responsabilité d'équipes d'experts techniques. Nous devions initialement parler une heure, nous aurions pu rester discuter toute la nuit maintenant que nous allons enfin au-delà de notre précédent dialogue de sourds…

J'ai pu lui exprimer ce que j'avais eu sur le coeur cet hiver, sans basculer dans l'émotionnel – ma voix tremblait un peu, mais j'ai pris le temps de respirer et je suis heureuse de voir que je sais maintenant passer ce cap. Je lui ai aussi exprimé, et j'étais sincère, que je suis consciente de la nécessité des changements qu'il force dans notre organisation et nos objectifs, mais voilà, ces changements m'ont généré une prise de conscience violente sur laquelle je ne peux plus revenir, moi, personnellement.

C'est clairement un problème pour lui, mais comme mon chef avant lui, il n'a pas trouvé d'argument pour me convaincre. Tous deux m'ont envoyée chez PDG, à ma grande surprise, car si je fais de temps en temps des présentations au comité de direction, jamais en 12 ans je n'ai eu l'occasion d'un entretien avec PDG. J'ai supposé que mon chef, qui fait partie des hommes de confiance de la direction, avait insisté pour cet entretien. A ma grande surprise, PDG a insisté pour me voir seule, et surtout, il avait parfaitement préparé le dossier: il a commencé l'entretien en résumant les causes de mon départ, et ce résumé était précis et juste, il s'adressait à moi en tant que personne et à 100%. Le fait qu'il m'accorde une heure de son agenda me touchait déjà beaucoup, et je le lui ai dit d'entrée, mais qu'en plus il ait pris le temps de discuter avec Directeur et Chef, et de préparer ses arguments pour me retenir, me laisse encore sonnée.

J'ai eu tellement l'impression, ces derniers mois, que mon travail n'était pas reconnu et j'en ai tellement souffert, que tout-à-coup je ne comprends plus rien, pourquoi ils ne me laissent pas partir tranquillement? je sais bien moi qu'ils vont avoir de la peine à me remplacer, mais je ne pensais pas qu'ils le savaient déjà avant que je parte (à part Chef)!  

Et hier j'étais face à notre meilleur négotiateur, vendeur de tous nos gros contrats depuis toujours, avec des explications franches à toutes mes questions, jouant sur la promesse répétée d'une solution sur mesure en notant et reformulant soigneusement mes besoins, mais aussi avec un ou deux garde-fous subtilement amenés pour cadrer la solution de la bonne façon et me faire douter d'une alternative à son offre… Comme j'ai beaucoup de mémoire, j'ai tout enregistré sans prendre de notes, et déposé le tout sur papier en rentrant le soir pour faire la part des choses… or il n'y avait pas vraiment d'éléments nouveaux, rationnels et surtout factuels, dans la discussion, mais sur place l'emprise émotionnelle était si forte que je n'ai pas pu poster ma lettre de démission comme j'avais prévu hier soir. Brillant, il est vraiment brillant! en sortant de l'entretien, j'étais vraiment sonnée, j'ai failli me coucher en rentrant, et j'ai très mal dormi de nouveau cette nuit, alors que mon sommeil s'était enfin amélioré cette semaine.

J'ai du mal à croire que je vis tout cela.

J'essaie de rester le plus en cohérence avec moi-même, mais c'est difficile, car jamais à part peut-être au tout début de ma vie de couple je n'ai eu autant l'impression d'un changement profond de ma personnalité, presque déstructurant. Je n'ai jamais été aussi courageuse que ces dernières semaines, et ce courage entraîne tellement de changements dans mon environnement que je ne reconnais plus rien, et surtout je ne me reconnais plus. Je reconnais mes réactions émotionnelles, mais je prends un recul que jamais je n'avais su prendre à ce point. C'est comme si je repassais dans une crise d'adolescence pour construire une personnalité plus adulte, plus responsable, plus profonde et plus vraie.

C'est vraiment étrange.

Reste que mon choix est juste pour moi. J'en suis certaine. J'ai même l'intuition qu'il est juste tout court et que si je ne cherche pas à en tirer une quelconque vanité, vengeance, ou règlement de compte, il sera utile et positif pour les autres aussi. Je pense obsessionnellement à un accord toltèque ces jours, ma parole doit être impeccable. C'est très difficile! Mais c'est d'autant plus important pour ces prochains jours, où je vais devoir communiquer officiellement et largement mon départ, à mon équipe, à mes collègues, au reste de l'organisation, puis dans un second temps, à mes contacts extérieurs.

Je suis fatiguée, mais je dois encore passer toute cette transition.

C'est dur…

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Papyrus #5 – Le dernier cheval

Perjakezhelias Il est né au milieu de la Grande Guerre, a grandi au milieu d'une dizaine de frères et soeurs, a vécu quatre-vingts années au milieu de la Bretagne.

Il était de l'avant-dernier des mondes.

Il n'y a pas assez de mots pour décrire ce monde d'avant le nôtre. Surtout en français.

Dans ce monde d'avant, l'habileté d'un homme se mesurait à la rapidité de sa faux à dénuder les terres affleurées de rochers sans que jamais une étincelle ne vienne embraser les herbes sèches.

Dans ce monde d'avant, la subtilité d'un homme se mesurait à la précision de la modulation des gestes et de la voix qui guidaient son cheval, son troupeau ou son chien, selon le moment, dans ce ballet complexe où chacun jouait sa subsistance en synergie.Chienguiaudet

Les chevaux… depuis l'enfance, il leur parlait, il les menait. Il avait reçu tous les savoirs de la terre en héritage, comme ses frères, de son père, qui les tenait de son père, et ainsi de suite, sur ces mêmes terres depuis au-delà du temps des premières archives des églises. Il maîtrisait toutes ces habiletés, toutes ces subtilités, depuis le coeur de l'enfance`où il est si facile d'apprendre, et où tout lui avait été transmis.

Quand ses fils à lui sont nés, à la fin d'une autre guerre, le monde n'avait pas encore vraiment changé. Mais soudain tout s'est accéléré. Quand le petit est allé à l'école, l'électricité est arrivée. Il était malin ce petit, curieux du monde d'en haut et des choses de l'esprit, pressé d'y détourner l'habileté et la subtilité nécessaires à faire tourner le monde d'en bas en bonne intelligence. Désormais l'électricité pouvait garder les vaches avec un simple fil, et éclairer les livres jusque tard dans la nuit. Ce gamin-là a été vite perdu pour la ferme, poussé aussi vers d'autres sommets par sa mère et sa grand-mère qui avaient déjà compris que le monde changeait… et peut-être aussi saisi l'excuse des allocations familiales et bourses Perjakezhelias2 d'étude pour se libérer d'un gaillard à nourrir et blanchir d'octobre à juin 😉

Il restait donc l'aîné, tout aussi travailleur, toujours de bonne humeur, solide comme sont les hommes de cette terre (même le petit, tout intellectuel qu'il était, portera encore des sacs de 50kgs à passé cinquante ans). Ses bras étaient bien utiles, il y avait toujours à faire: il était bien préparé à son tour à reprendre une ferme sur ces terres du monde d'avant, la tête, la voix, les mains pleines du savoir du père, et du grand-père avant lui. Habiletés, subtilités du travail en synergie avec la terre et les bêtes, transmises une nouvelle fois au coeur de l'enfance où il est si facile d'apprendre…

Cheval Mais le monde d'avant s'effaçait déjà, et ces savoirs étaient remplacés par d'autres. Il était temps de faire des choix. Qui donc menait encore des chevaux aux champs? Le nouveau monde était celui des machines. Et ce fut donc le temps du dernier cheval… Pour le père, un crève-coeur. Pour le fils, la fierté de conduire le tracteur, pour mieux promettre aux filles des bals de village le confort d'une ferme moderne et rentable.

Mais le monde d'avant s'effaçait encore et encore, et de plus en plus vite. Le tracteur par exemple amenait d'autres questions: les petites parcelles encadrées de hêtres et d'ajoncs n'avaient plus de place dans ce monde mécanique, et il fallait plus d'argent pour faire tourner ce monde-là. Alors, comme pour le cheval, le père a résisté. Mais plus fort cette fois. Ces terres étaient les siennes, celles de ses frères et soeurs, celles de ses cousins. Celles que ses aïeux avaient lentement modelées à leur rude et pourtant savant labeur. Ils savaient où courait l'eau et quand chantait le vent de solstice en solstice, et chaque monticule, chaque roche, chaque arbre portait un bout de leur histoire, de joie ou de querelle, souvent un mélange… Renverser ce monde-là c'était toucher à tous les rêves oubliés, à toutes les rancoeurs enterrées, à tous les fantômes cachés derrière la moindre ligne du cadastre ancien. Voilà pour l'irrationnel. Et il est vrai pour le rationnel que ces terres ne valaient rien, trop rocheuses, trop pauvres, tout juste bonnes pour la lande et la bruyère et un peu de subsistance au milieu… Personne n'a insisté pour les rentabiliser. Elles sont donc restées aux vieux, à ceux du monde d'avant, avec leurs petits lopins morcellés de quelques hectares au faible rendement, leurs quelques vaches et poules, dans leurs fermes sombres, mal chauffées et mal aérées. Le fils a trouvé un emploi mieux payé pour ses bras solides, avec la sécurité sociale, à 15km, comme maçon dans un bourg un peu plus prospère; d'ailleurs, il y avait là-bas une fille adorable, et qui savait que les plus belles maisons sont celles des maçons… la décision a été vite prise.

Le père est resté seul, bientôt à la retraite agricole, cette belle invention du monde nouveau, avec la mère, le chien, un potager et quelques lapins. Impuissant à freiner ces mutations qui allaient trop vite pour lui, il les suivait depuis longtemps, de son mieux mais de loin, dans le journal, à la radio, puis, petite pension de retraité aidant, à la télévision. Il a continué à regarder son monde changer, son savoir de l'ancien monde s'effacer dans une évidente inutilité. Il voyait de temps à autre ses petits-enfants, partis d'emblée à la conquête du nouveau monde, habillés comme les princes des légendes, nourris comme des cochons à engraisser, transportés confortablement en voiture même sur le chemin de l'école, et le nez devant la télé dès le plus jeune âge. Que pouvait-il leur raconter, à ces petits-là? Ils étaient bien sûrs sourds au breton que leurs parents s'empressaient d'oublier: à les écouter, quand ils voulaient bien en parler, il ne restait que la honte de cette culture d'un autre âge. Alors il leur parlait seulement en français: la langue des livres, la langue des professeurs, la langue du journal, la savante langue du monde nouveau.  

Rougir-detre-paysan Le reste n'a plus jamais été dit. La langue du monde nouveau savait analyser, décrire et expliquer. Elle ne savait pas dire les émotions du monde d'avant, le beau, le vrai, l'évident, et lui restait de toute façon trop étrangère pour oser lui faire dire sa peur d'être oublié ou pire, d'être à jamais celui dont on a honte, encore moins oser crier sa colère de n'avoir plus d'autre existence que celle d'être le père, le vieux, l'ancêtre… le dernier dépositaire d'un savoir dont plus personne n'avait que faire… comme son dernier cheval, en 1960.

Il avait fait son temps, les articulations usées, le corps fatigué. Il a attendu son tour de passer dans l'autre monde, chargé de tout ce qui n'avait plus de raison d'être, de tout ce qui ne se disait plus.

Le monde d'avant s'est effacé, et son empreinte, celle du dernier meneur de cheval, avec.

Il ne reste que quelques photos et l'évidence des études ethnographiques. Et les questions sans réponse d'une petite-fille face à aux émotions non-dites héritées de cet autre temps…

(c) Kerleane – Nov 2009-Mai 2010Nature2009small

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Drôle de coincidence

Aujourd'hui j'ai reçu la visite inopinée d'une famille de nos connaissances que nous avions perdue de vue depuis leur déménagement à l'autre bout de la Suisse Romande il y a quelques années.

Quand ils sont arrivés, j'étais le nez dans l'épouvantable liste des tâches détaillées nécessaires à l'accomplissement de mes impossibles objectifs pour cette année, à trier ce que mon équipe peut faire toute seule, ce que je recommande d'abandonner, et ce qui reste sur mes épaules et donc base de négociation pour un éventuel mandat dans "mon autre avenir". Au terme de ces 4 jours de pont où j'ai encore avancé mon projet, ma décision est quasi irrévocable; mais je doute encore tellement de l'avenir…

Alors quand après l'échange des nouvelles familiales autour d'un café et quelques biscuits, notre ami nous a expliqué qu'il venait de commencer un nouveau job dans le social après une longue traversée des enfers dans le monde de la distribution, je suis restée sans voix. Bien sûr son histoire est bien plus violente que la mienne; je le voyais déjà exploité il y a 6 ou 8 ans en arrière; quand après son passage cadre, on lui a demandé d'exploiter à son tour, il a commencé à ne plus pouvoir dormir. Dans les mois qui ont suivi, sa fille a fait une grave infection en pleine période de fêtes, la plus stressante de l'année, et là il a réalisé qu'il ne la voyait quasiment plus, on le poursuivait jusqu'au fond des week-ends. Et là tout s'est déclenché: burnout. Son corps s'est mis à refuser le travail, évanouissements, vomissements, toute une violence physique et soudaine. 6 mois à l'assurance, et au retour la promesse du même job – impossible. "Ce ne sont pas mes valeurs", me dit-il aujourd'hui. Lente remontée à la surface, arrêt des anti-dépresseurs, mais démission, et chômage. Tous les postes qui se présentaient lui parlaient de ces mêmes fichues valeurs qui ne sont pas les siennes, il les a refusés… sauf un, et le voilà qui entame une nouvelle vie. Heureux.

Ils m'ont rafraîchi les idées et pour moi qui ai appris à faire attention aux synchronicités, je ne peux que m'émerveiller de l'évidence de celle-ci!

Si je ne lâche pas prise maintenant, je sais ce qui m'attend, à plus ou moins longue échéance…

Pour achever la petite histoire, ma fille aînée m'a justement demandé des nouvelles de cette famille il y a quelques jours, alors que nous ne pensions plus guère à eux depuis quelques années!

C'est drôle la vie des fois.

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Changer

J'ai dormi près de deux heures cet après-midi. Depuis 5 semaines, c'est la première fois que je m'accordais une telle décompression. Je préfère ne pas calculer la réalité de mon déficit de sommeil sur cette période.

Je n'ose même plus m'asseoir pour faire une liste de tâches. Au travail j'ai basculé sur des listes pour mes 6 collaborateurs directs, pour m'assurer qu'au moins ce que je délègue est suivi. A la maison, je ne planifie rien, je décide au cas par cas ce que je peux faire dans les 2 heures à venir.

Mon mental est tellement sollicité avec des changements de sujets constants que je me réveille la nuit après un premier cycle de sommeil encombrée de toutes les pensées de ce que je n'ai pas fait, pas dit, en parallèle avec ce que le sommeil a fait ressortir de ce que je suis en train d'apprendre, de comprendre, d'imaginer.

Je ne suis donc pas encore en état de burnout, puisque je suis encore combative, avec des émotions très vives et un cerveau qui tourne à plein régime, à l'antipode de la dépression, mais je sais que je ne peux pas continuer à ce rythme. Déjà, il faut que je dorme plus. Je me débats d'autant plus pour trouver des solutions, mais je suis au pied du mur: il faut que je change. Il faut que je lâche prise de tout ce qui n'est pas essentiel. Il faut que j'arrête de répondre à toutes les sollicitations. En fait je n'arrive déjà plus à les adresser toutes sans parfois plusieurs semaines de délai, mais tous ces manquements me donnent mauvaise conscience… cercle vicieux. 

Mon perfectionnisme me tue à petit feu.

C'est d'autant plus important pour moi de revenir aux bases de mon engagement. Quelles sont donc les valeurs à la source de cet engagement démesuré? Ce sont avant tout des croyances, des projections.

Il faut vraiment que je change. 

Je travaille donc maintenant sur un scénario de départ. Seul un tel électrochoc va me permettre de me recentrer et d'évoluer. Quand j'ai émis cette hypothèse à mon chef, il l'a prise très au sérieux – "ton départ n'est pas une option!". Je crois que c'est la première fois en 3 ans qu'il me passait un message aussi clair. Il faut dire que je serai la 2e – la veille, un autre de mes collègues avait annoncé sa démission… du coup, même mon N+2 s'est mis à réagir, en passant des messages aux tiers sur mon temps partiel par exemple. Ils ne peuvent pas se permettre le départ consécutif de deux "talents" sous le prétexte de notre violente réorganisation. Mais ce n'est pas parce que ce n'est pas une option pour l'entreprise que ce n'est pas une option pour moi. Cela-dit, raisonner ainsi est violent pour moi car je suis de nature fidèle et dévouée (c'est bien tout le problème). Mais c'est ma survie qui en jeu!

J'ai la chance de ne pas avoir besoin de mon salaire pour faire tourner la marmite – nous sommes deux. Avec les taux d'intérêts actuels, je ne suis pas pressée de rembourser ma maison.

Toute mon incertitude actuelle porte sur ma capacité à changer, à évoluer, vers plus d'autonomie et de confiance. Pour regagner le contrôle de mon agenda, que je ne pourrai jamais imposer au-delà d'un certain niveau hiérarchique a fortiori dans une multinationale, et pour conquérir la liberté de ne plus dépendre d'organisations transversales dans lesquelles mon rôle n'est jamais clair, c'est une évidence, il faut que je me mette à mon compte. Il faut que j'aille au-delà de la peur de voler de mes propres ailes, que j'accepte de ne plus avoir le feedback régulier d'une figure d'autorité sur ma performance. Mes compétences sont énormes, je suis bien organisée, j'ai un bon contact et une bonne écoute, mon intelligence me permet d'apprendre très vite sur des sujets complexes, mais je suis aussi très immature sur ma gestion des émotions, mes angoisses, mon perfectionnisme et ma tendance à culpabiliser pour tout, y compris les erreurs des autres que je n'ai pas su accompagner ou conseiller à temps, alors que ce n'était même pas mon rôle…

Après la phase de la colère qui m'a portée ces 4 dernières semaines à réagir sur tous les plans contre la situation impossible qui m'a été imposée, y compris à tenter de l'absorber malgré tout, après la phase de la négotiation des 2 dernières semaines où j'ai commencé à tester mon rapport de force pour faire changer la situation, j'entre dans la phase de dépression. Je n'ai plus le choix, il va falloir changer – je me sens du coup impuissante et ballottée par la réalité de l'évolution qui s'impose. Je peux soit accepter la situation avec les arrangements que mon chef va bricoler pour garantir ma survie, soit refuser la situation pour en créer une autre de toute pièce. Ailleurs.

Une première décision s'impose dans 2 semaines. Démissionner pour être libre à la rentrée de septembre.

En serai-je capable?